vendredi 21 février 2020

La pollution par les microplastiques

Il y a quelques semaines, j'ai rédigé un petit bilan de la bibliographie concernant la pollution aux microplastiques. C'était... c'était pour un ami, qui en avait besoin.
Quoi qu'il en soit, j'ai décidé de résumer ce petit bilan et d'en faire profiter mes lecteurs. Alors nous voilà, sur ce blog, à parcourir ces lignes.
Alors sans plus tarder, commençons.

1) Les microplastiques ? Qu'est-ce que c'est ?
Les microplastiques sont des morceaux de plastiques qui mesurent moins de 5 mm de longueur.
Ils viennent principalement de la dégradation au cours du temps des déchets plastiques plus gros, comme des sacs de courses, qui se retrouvent dans la nature et subissent l'effet de l'eau, du sel, des ultraviolets du Soleil. A l'échelle de la planète, 300 millions de tonnes de plastique sont produits chaque année. Malheureusement, 79 % sont rejetés dans la nature, ce qui représente 237 millions de tonnes de déchets plastiques par an. Aujourd'hui 6.3 milliards de tonnes de déchets plastiques ont été rejetés de par le monde.

D'ailleurs, la WWF a conduit une étude sur le sujet, je vous laisse la parcourir.
Rapport de la WWF sur les microplastiques

Photographie d'un déchet plastique dans l'océan.



Les types de plastiques retrouvés le plus souvent sont le PVC (polychlorure de vinyle), le PET (polyéthylène), le polyuréthane, le polystyrène et le polypropylène.

Mais les microplastiques n'ont pas tous la même origine. Ces composés sont utilisés dans certains produits phytosanitaires (pesticides...) mais aussi parfois ... Dans le dentifrice. Oui, je parle bien de ces petites billes dans le dentifrice sensées polir l'émail de nos dents.
Décidément, entre les nanoparticules et les microbilles de plastique, on rajoute vraiment n'importe quoi dans le dentifrice.
Vous saviez qu'à une époque, rajouter du radium dans le dentifrice était un gage de qualité ?
Comment ? Vous n'aviez pas envie de le savoir ? Je vous en prie, c'est tout naturel.

Gros plan d'un échantillon de dentifrice contenant des microbilles de plastique. Ces particules (petits points bleus foncés dans la masse bleu clair du dentifrice) frottent l'émail de la dent en douceur, ce qui la polit, la rend plus blanche et aide à décrocher la plaque dentaire.

Le linge aussi peut produire des microplastiques. Pendant le lavage du linge, des fibres de tissu, que ce soit de la laine, du lin ou un polymère quelconque, sont relâchées dans l'eau de lavage, qui sera évacuée vers les stations d'épuration. Malheureusement, toutes les fibres ne sont pas retenues par le traitement de l'eau et certaines se retrouvent dans la nature.
Vue d'artiste d'une machine à laver. L'eau de lavage du linge contient des fibres, qui viennent de l'usure normale du linge. Ces fibres peuvent être composées de matières plastiques. Aucun partenariat n'existe entre un producteur de machines à laver et le propriétaire du blog.

Aujourd'hui, on retrouve donc des particules de plastique dans énormément de milieux différents: dans la terre où les pesticides contenant des microparticules sont utilisés, mais aussi dans les cours d'eau et finalement dans les mers et les océans du monde.
On retrouve des particules de plastique dans tous les recoins du monde, jusqu'au sommet des montagnes, et même dans la glace de la banquise !
Schéma du cycle de l'eau: l'eau de pluie ruisselle pour former des cours d'eau qui se jettent finalement dans la mer. Les déchets plastiques suivent ces cours d'eau et se retrouvent, eux aussi, dans la mer où ils s'accumulent.

Photographie d'un paysage recouvert de glace. Des particules de plastique ont été retrouvées partout sur la planète, jusque dans les endroits les plus reculés.

A retenir: 

 - Microplastiques: fragments de plastiques de <5 mm de long
 - Leur origine: fragmentation de déchets plastiques plus gros, eau de lavage du linge, microbilles dans les produits du quotidien
 - 6.3 milliards de déchets plastiques au total dans le monde
 - Les déchets plastiques sont retrouvés dans tous les endroits du monde


2) Exposition/danger pour l'Homme et la Nature ?
Ayant pris connaissance de cette contamination, les scientifiques du monde entier ont commencé à évaluer l'effet de l'exposition à ces particules sur les organismes aquatiques.
D'ailleurs, la plus grande partie des travaux effectués sur le sujet concernent les organismes marins, au détriment de l'eau douce et du sol.
Pour évaluer cette contamination, des organismes spécifiques sont utilisés comme référence, pour des raisons pratiques. L'exemple le plus courant est la moule, puisque c'est un organisme qui filtre l'eau et ne bouge pas. On peut donc facilement retrouver les particules de plastique absorbées et être sûrs qu'elles proviennent du même endroit.
Photographie de deux moules. Les moules sont des organismes filtreurs, elles accumulent donc les particules de plastique contenues dans l'eau. Leur immobilité nous assure que les particules obtenues viennent toutes du même endroit. "Hé Michel, j'aurais pas un truc entre les dents ?" "T'as pas de dents Henry. Par contre, il y a bien quelque chose."

Les moules ont tendance à accumuler les particules de plastique, qui sont donc plus concentrées dans ces mollusques que dans leur environnement: on parle de bioaccumulation.
Ces particules, à cause de leur petite taille, ont tendance à interagir avec leur environnement: par exemple, des substances dissoutes dans l'eau, comme des pesticides, peuvent se fixer (s'adsorber) à la surface des particules, qui pourront en retour libérer des additifs chimiques comme les phtalates, ou le bisphénol A.
Des bactéries aussi peuvent se fixer sur ces particules.
Les effets constatés dépendent de la nature chimique du polymère utilisé, mais aussi des additifs ajoutés pendant la fabrication.
Ainsi, le PVC et le polyuréthane seraient plus toxiques que le polyéthylène (PET).

A retenir: 

- Bioaccumulation: accumulation d'un polluant dans un organisme vivant. Cette concentration dans l'organisme peut être largement supérieure à celle de l'environnement, et s'accentuer dans la chaîne alimentaire.
 - La moule est l'organisme le plus utilisé pour des recherches d'effets d'une pollution puisqu'elle filtre l'eau et ne bouge pas.
 - L'effet des particules de plastiques sur un organisme dépend de la nature du polymère, des additifs qu'il contient et des substances qui y sont adsorbées.

3) Et nous, sommes-nous exposés ?
Oui, en effet, nous sommes exposés à des microplastiques. D'après le rapport de la WWF de 2009 "No plastic in Nature" nous sommes exposés à 5 grammes de microplastiques par semaine.
La source principale d'exposition serait l'eau de boisson, puis l'alimentation, notamment via les produits de la mer. L'air arrive en dernière position avec une exposition relativement basse.

Les effets sur l'Homme ont été évalués sur des cellules intestinales humaines, directement exposées à cette contamination. En 2019, S.Wu et son équipe ont exposé ces cellules à différentes concentrations de particules de polystyrène pendant 24 heures. Leurs résultats indiquent que les cellules exposées présentent des signes liés à l'inflammation et une plus grande mortalité comparée aux cellules non-exposées aux particules. De plus, les effets obtenus dépendent de la dose utilisée: plus la concentration en particules est importante, plus l'effet est important.

A retenir:
 - L'Homme serait exposé aux microplastiques par l'eau de boisson, la nourriture et l'air (et certains produits cosmétiques)
 - L'exposition représenterait environ 5 grammes par semaine
 - L'exposition aux microplastiques pourrait provoquer une inflammation des cellules intestinales et une hausse de la mortalité de ces cellules

4) Des pistes pour remédier au problème ?
 J'ai conscience que la lecture de cette article peut alarmer certaines personnes, du fait de la nature même du sujet traité.
Heureusement, des pistes sont envisagées, des solutions sont proposées, et des projets sont mis en place pour tenter d'y remédier.
Toutes ces solutions tiennent en trois grands thèmes: diminuer le rejet du plastique dans la nature, enlever le plastique présent dans l'environnement, et enfin faire disparaître ce plastique.

  Tout d'abord, pour faire diminuer le rejet de plastique dans la nature, les mesures proposées sont généralement basées sur l'action des citoyens: utiliser des sacs, des récipients ou des emballages réutilisables plutôt qu'en plastique, jeter ses déchets dans une poubelles plutôt que par terre...

Pour une fois, les pays occidentaux ne sont pas les pires élèves: d'après l'article de CJ. Rhodes paru en 2018, les 5 pays dont les rejets de plastique sont les plus importants sont la Chine, l'Indonésie, les Philippines, le Vietnam et le Sri Lanka.
Carte du monde illustrant la concentration des déchets dans les gyres océaniques. Les courants circulaires des océans (gyres) permettent l'accumulation des déchets dans des zones spécifiques.


Ensuite, différentes mesures sont envisagées pour réduire la quantité de plastique présente dans les océans, comme les opérations de nettoyage de plages ou, de façon plus ambitieuse, des opérations de nettoyage de l'océan à grande échelle, comme Ocean Clean-up.

Allez voir le site Internet du projet Ocean Cleanup !

Photographie d'un navire du Projet Ocean Cleanup, avec un filet permettant de ramasser les déchets plastiques sur son chemin. Le Projet Ocean Cleanup, une ONG internationale, a pour ambition d'éliminer les déchets plastiques des océans et de limiter l'ajout de déchets supplémentaires.

Photographie d'un groupe de personnes nettoyant une plage. Le nettoyage des plages et des lieux de vie communs est une action citoyenne que n'importe qui peut mettre en place pour limiter la pollution plastique, en plus de l'utilisation des poubelles ou du tri sélectif.

Enfin, pour faire disparaître le plastique, des plastiques biodégradables appelés bioplastiques ont été développés. Ces bioplastiques sont biosourcés, ce qui veut dire qu'ils sont dérivés de substances naturelles. Par exemple, la cellulose du bois, la pectine des pommes et l'acide lactique des yaourts permettent déjà de produire des polymères biodégradables.
On peut aussi utiliser des additifs, des substances chimiques qui vont permettre au plastique de se décomposer dans l'environnement. Les plastiques ainsi produits sont appelés oxo-plastiques.
Cette solution ne fait pas l'unanimité.

Photographies de plusieurs bouteilles en bioplastique, à différents stades de dégradation. L'acide polylactique qui les compose, fabriqué à partir de l'acide lactique, est facilement dégradé par les micro-organismes.

Une autre solution serait d'utiliser des micro-organismes capables de dégrader le plastique.
D'après une étude de AK.Urbanek publiée en 2019, certaines bactéries et champignons produisent des enzymes, des outils moléculaires capables de dégrader certains polymères de plastiques comme le polyuréthane. Il est donc question d'utiliser ces organismes, ou au moins leurs enzymes, pour détruire nos déchets plastiques. Ce serait un moyen propre et efficace de nous débarrasser de cette énorme quantité de plastique qui sera récupérée dans l'océan, par exemple.
Photographie de fermenteurs industriels. Des bactéries pourraient à l'avenir (quand suffisamment d'enzymes seront identifiées et testées) être cultivées pour dégrader différents polymères de plastique.
Bien entendu, toutes ces solutions devront être finalisées et testées en laboratoire avant toute utilisation publique.
Jusqu'ici les plastiques biodégradables ne font pas encore l'unanimité dans la communauté scientifique, il faudra encore les développer avant de rendre cette solution satisfaisante.
Il faudra aussi s'assurer que les bactéries capables de dégrader les polymères de plastique ne produisent pas de substances néfastes à partir de nos déchets, même si pour l'instant il semble que les substances produites soient inoffensives. Et, évidemment, il nous faudra des enzymes capables de dégrader chaque type de polymère, ce qui n'est pas encore le cas.

A retenir:
Pour faire diminuer la quantité de déchets plastiques:
- Utiliser de préférence des emballages ou des récipients réutilisables
- Opérations de nettoyage des plages, projets de nettoyage des océans
- Utiliser des plastiques biodégradables
- Utiliser des bactéries ou des enzymes capables de dégrader les polymères de plastique
- Tester et valider les technologies avant de les utiliser


La mer est un endroit formidable qu'il nous reste encore à découvrir, où nous pourrons trouver de nouvelles idées pour l'avenir, de nouveaux médicaments, des innovations technologiques, de nouvelles façons de voir le monde. Il est temps pour nous d'apprendre à en prendre soin.

Sources
Site Internet
Ocean Cleanup
https://theoceancleanup.com/

Articles:
Rhodes CJ. 2019.”Plastic pollution and potential solutions”.Sci Rep. 9(1):6633. doi: 10.1038/s41598-019-43023-x
 
Rapport de la WWF "No plastic in nature"

WWF. (2019). No plastic in nature: Assessing plastic ingestion from Nature to People. Consulted on http://awsassets.panda.org/downloads/plastic_ingestion_press_singles.pdf
 

Wu S, 2019: effet des microplastiques sur des cellules intestinales humaines
Wu S, Wu M, Tian D, Qiu L, Li T. 2019. “Effects of polystyrene microbeads on cytotoxicity and transcriptomic profiles in human Caco-2 cells”. Environ Toxicol. doi: 10.1002/tox.22885 

AK Urbanek, 2019: enzymes qui dégradent le plastique

Urbanek AK, Mirończuk AM, García-Martín A, Saborido A, de la Mata I, Arroyo M. 2019. “Biochemical properties and biotechnological applications of microbial enzymes involved in the degradation of polyester-type plastics” Sci Total Environ. doi: 10.1016/j.scitotenv.2019.135577


Images:
Un sac plastique dans l'océan
http://static.wixstatic.com/media/e5dcc5_bf8b703383f24e089cc043e689683cc2~mv2_d_2200_1258_s_2.jpg_srz_941_538_85_22_0.50_1.20_0.00_jpg_srz
Dentifrice
https://glslcities.org/wp-content/uploads/2015/05/microbilles.jpg
Machine à laver
https://image.darty.com/gros_electromenager/lavage_sechage/lave-linge_hublot/bosch_waq28413ff_l1406114020480A_150830788.jpg
Paysage enneigé
https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj_Ygc5IYZTnfvuNwX2V6RBX3LJZy8I4SuxV2a3tGSvav2-U07BmHkCxGLA8ffbnrsGqQXvp4W60A_NNtf6EbvRG9IUMatBkgOPzZK9wz-3-dgZl8xYqbD6fcPBnrfSxN6PAjbyuZs17a0/s1600/04.jpg
Bouteilles de bioplastique
https://i1.wp.com/www.leblogdelusinagedeprecision.com/wp-content/uploads/bioplastique_pla_smide_usinage_plastique.png?w=630
Fermenteurs industriels
http://image.made-in-china.com/43f34j10mMbEegvBkCoW/Stainless-Steel-Beer-Fermenter.jpg
Navire Ocean Cleanup
https://assets.theoceancleanup.com/app/uploads/2019/03/largest_cleanup-1920x1280.jpg
Nettoyage de plage
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/99/Sailors_clean_a_beach_in_Diego_Garcia..jpg/1200px-Sailors_clean_a_beach_in_Diego_Garcia..jpg
Gyres océaniques
https://www.cartograf.fr/img/7eme_continent/carte_7eme_continent_gyres_dechets.png

jeudi 24 octobre 2019


Quantité, comportement et devenir d'une contamination

Nous voilà réunis pour ce premier volet consacré à l'écotoxicologie. Aujourd'hui, on évalue l'importance d'une contamination dans l'environnement, sa répartition et son évolution dans le temps.
Tout le monde est là ? On peut commencer ? Alors c'est parti.

D'abord, c'est quoi, l'écotoxicologie ?
L'écotoxicologie (écotox pour les intimes) c'est une discipline scientifique qui étudie l'action et le comportement des agents polluants dans l'environnement. Il existe plusieurs sortes de pollution (chimique, sonore, lumineuse...) mais je ne parlerai que de la contamination chimique de l'eau et du sol.

Les contaminations sont toujours d'origine humaine ?
Non, même si on est plutôt doués pour saccager les milieux naturels, la pollution ne vient pas obligatoirement des activités humaines.
Par exemple, les volcans rejettent d'énormes quantités de métaux (cuivre, zinc, fer, plomb..) et de gaz en tous genres autour d'eux pendant les éruptions volcaniques. La lave refroidie reste très riche en métaux et en minéraux.
Éruption du Piton de la Fournaise, à la Réunion.

 Comment savoir à quel point un milieu est contaminé ?
Le plus simple c'est de mesurer la concentration de la substance recherchée à l'endroit où elle est relâchée dans la nature, à la sortie d'une station d'épuration par exemple, et de la comparer à une valeur limite.
Cette valeur limite est définie par un organisme public (l'AFNOR par exemple) d'après les travaux d'autres organismes (INRA...).
De l'eau rejetée dans une rivière après avoir été purifiée dans une station d'épuration.
Et si on n'a pas de point de départ de cette pollution, on fait comment ?
Si on n'a pas de point de départ, alors la science entre en jeu !
Pour évaluer la contamination, on effectue des prélèvements de sol et d'eau qui seront analysés en laboratoire pour savoir dans quel compartiment le polluant s'est fixé, et dans quelles proportions.
On dose aussi les contaminants dans des organismes modèles, mais comme c'est plus complexe je donnerai plus de détails dans un autre article.

Un compartiment ? Pourquoi on parle de meubles, d'un seul coup ?
Ici, un compartiment désigne un milieu comme le sol, l'air ou l'eau dans lequel vivent les organismes et où la contamination peut se propager.
Et effectivement, dans un autre contexte, ça désigne une partie d'un meuble, un tiroir par exemple.
Une commode pleine de compartiments : les tiroirs. Mais rien de scientifique ici.
 Comment on sait dans quel compartiment le polluant va se fixer ?
En fait, un polluant ne se fixe jamais à 100 % dans un compartiment, c'est plutôt une tendance.
On peut prévoir cette tendance en comparant la molécule recherchée à d'autres molécules proches, qui auront en général des propriétés similaires.
Mais dans le cas des plastiques ou des nanoparticules par exemple, il n'y a pas toujours de référence pour prévoir ces propriétés, alors on dose la molécule recherchée dans les différents compartiments.
En général, une molécule hydrophobe se fixe plutôt dans le sol alors qu'une molécule hydrophile reste surtout dans l'eau.

Comment sait-on qu'une molécule est hydrophile ou hydrophobe ?
Une molécule est hydrophile si elle peut se dissoudre dans l'eau. Si ce n'est pas le cas, on dit qu'elle est hydrophobe.
 Attention, ça devient un peu technique ici.
Pour savoir si une molécule est hydrophile ou non, il faut la regarder en détail:

- Si elle contient principalement des atomes de carbone et d'hydrogène (on parle de molécule organique) alors elle est hydrophobe. Parmi les hydrophobes, on retrouve le cholestérol, la cire et l'huile.
Formule chimique du cholestérol. Le cholestérol est constitué d'un grand nombre d'atomes de carbone pour très peu d'oxygène: c'est une molécule hydrophobe.
- Si elle contient peu d'atomes de carbone mais des atomes comme l'oxygène ou le chlore, alors la molécule est hydrophile. Une molécule qui porte une charge électrique est elle aussi hydrophile. Par exemple, le méthanol, l'éthanol, les ions métalliques (Cu2+, Fe2+...) ou le sel (Na+, Cl-) sont tout à fait hydrophiles.
La formule chimique de l'éthanol, l'alcool présent dans les boissons alcoolisées.
Bien sûr il existe des nuances, par exemple une molécule organique avec des atomes d'oxygène ou de chlore sont un peu plus hydrophiles.
Par exemple, les PCB (biphényls polychlorés) sont des molécules riches en atomes de carbone, donc principalement hydrophobes, mais elles présentent un certain nombre d'atomes de chlore, ce qui les rend un peu plus hydrophiles.
Formule chimique de quelques PCB. Ils sont tellement nombreux que chaque nouvelle molécule identifiée est numérotée.

Le milieu aussi apporte une nuance: une molécule dissoute dans l'alcool ou un détergeant se mélangera plus facilement dans l'eau.

Combien de temps le milieu reste pollué ?
 Tout dépend de l'affinité de la molécule avec l'eau: une molécule très hydrophile sera éliminée quand l'eau du milieu sera renouvelée (ce qui est rapide dans une rivière mais bien plus long dans un lac ou un estuaire) alors qu'une molécule hydrophobe s'accroche (on dit qu'elle s'adsorbe) aux molécules organiques du sol, et reste donc beaucoup plus longtemps dans le milieu.

Alors, lequel est le plus toxique, hydrophile ou hydrophobe ?
C'est compliqué de répondre, la toxicité dépend de la molécule, de la dose, de la durée d'exposition.
Mais ce qui est sûr, c'est qu'une molécule hydrophile sera facilement absorbée par les organismes aquatiques puisqu'elle circule dans l'eau, alors qu'une molécule hydrophobe aura tendance à rester dans le sol. Dans ce cas ce sont les organismes du sol qui sont vulnérables.

Voilà pour cette première partie, j'espère qu'elle vous aura plu et que vous aurez appris quelque chose.
N'hésitez pas à laisser un commentaire, vos impressions ou vos conseils, je les lirai avec joie !

A la prochaine !


Sources

Sites Internet
Définition écotoxicologie
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cotoxicologie
Définir les valeurs limites dans l'environnement de travail (ANSES)
https://www.anses.fr/fr/content/les-valeurs-limites-biologiques-pour-les-agents-chimiques-en-milieu-professionnel
Teneur du sol en métaux : rapport de l'INRA
http://www7.inra.fr/lecourrier/assets/C22Baize.pdf
Définition de compartiment écologique
https://www.dictionnaire-environnement.com/compartiment_environnemental_ID3571.html
Définition hydrophile
 https://www.futura-sciences.com/sciences/definitions/chimie-hydrophile-14644/
Définition hydrophobe
 https://www.futura-sciences.com/sciences/definitions/physique-hydrophobe-12597/

Images
Volcan en éruption
https://www.reunion.fr/sites/crt-reunion/files/styles/gallery_lightbox/public/content/images/volcan198_eruption_piton_de_la_fournaise_05_2015_-_credit_irt_-_luc_perrot_dts_06_2019.jpg?itok=wjAJl014
Eau rejetée après passage en station d'épuration
https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhc1Ya-O3LNp2iGNyvQiSbfJsLMemrDDXDfa49vuG9WXkzItES1CO4GhPMYsNc4eC6xUAVyMcbahcpYL6G8mP_JYvN51HL9FKbJ9JaHRHNtx4ezMeAROLTGLmBbhkaohCKsOiBcFJx13iI/s1600/eau.jpg
Commode
http://www.sweetmango.fr/1881/commode-design-bois-multi-tiroirs.jpg
Formule chimique du cholestérol
https://rockland-inc.com/uploadedImages/ProductsStatic/Chemical-structure-of-cholesterol.jpg
Formule chimique de l'éthanol
https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgKhQbc4MkcODWd_3-3Y2jZX3zOpaebTxSPJ73mH0D4dmUiYGxe4AIigguzj_IJ_so5zIGFX14Ok8x1D-onX0Lr-16ZAuZcavQ82gO5fpBk82cRT_pJTva67u2tViOKuuG_DKLOOwo0iDXs/s1600/Ethanol-CRC-MW-trans-3D-balls.png

Articles scientifiques
M. Couderc, F. Gandolfi et al. "Levels and distributions of organic pollutants in subtidal sediments from the Loire estuary: are there any relationships with TTR-binding activity ?" Journal of Sea Research (2016)

mercredi 23 octobre 2019

L'écotoxicologie, sommaire

Fichus arbres, j'ai encore des feuilles plein les cheveux !
Ah, vous voilà.
Jusqu'ici, j'ai traité de sujets insolites ou simplement intéressants comme la taille des arbres, les nanoparticules, les herbes roulantes du désert ou même la recette du bonheur.
Aujourd'hui, j'aimerais vous parler de la discipline que j'ai étudié en cours, l'écotoxicologie. Il y a beaucoup à dire, alors je développerai ce sujet sur cinq articles :

1. Quantité, nature et répartition du contaminant dans l'environnement

2. Effets d'une ou plusieurs contaminations sur un organisme modèle

3. Toxico-cinétique : que devient le contaminant dans l'organisme ?

4. Bioaccumulation: la chaîne alimentaire

5. Stress oxydant: comment, pourquoi, première extinction de masse

Tous ces articles sont en préparation, j'espère que vous apprécierez.
A bientôt !

jeudi 3 octobre 2019

La trogne ou "arbre têtard", technique ancestrale de rentabilisation des arbres

Une trogne ? C'est quoi une trogne ?
La trogne, c'est un arbre taillé d'une façon particulière.
C'est assez reconnaissable d'ailleurs : le tronc est large, boursouflé, parfois creux, les branches (quand il y en a) sont épaisses et noueuses, et au sommet on trouve des branches plus fines, très droites et verticales.
En gros, ça ressemble à ça :
Une trogne dans une haie. Le tronc large et les rameaux verticaux sont caractéristiques.


L'arbre est creux ? C'est normal ?
Oui, c'est tout à fait normal. Pendant la formation de la trogne, des mousses et des champignons rongent le sommet de l'arbre, qui se développe autour de cette blessure. Et comme on taille toujours au même endroit, les champignons mangent de plus en plus le bois, qui devient finalement creux. On trouve d'ailleurs un excellent engrais au fond des trognes qu'on appelle "le sang de la trogne". Tout un programme.

Et ça vient d'où en fait ?
Cette technique de taillage des arbres est très répandue en Europe, et elle est très ancienne puisqu'elle était très répandue au Moyen-Age.
D'ailleurs en France, il y aurait 250 noms pour la désigner !
On peut entendre le nom de "trogne" en Anjou, mais aussi "émousse" en Mayenne, "ragosse" en Bretagne...
Aujourd'hui, on peut trouver des trognes à la campagne dans les haies, les champs, les prairies...
Mais aussi en ville dans les cours d'école ou le bord des routes. Oui, je parle bien des platanes !

Des platanes en ville, au bord d'une route. Ils sont taillés en candélabres (une variante de la trogne) pour ne pas prendre trop de place

En quoi ça consiste une trogne, en fait ? Comment on passe d'un arbre ordinaire à cette apparence si... hem... particulière ? 
Alors c'est assez simple, mais pour cela on va avoir besoin de voir l'anatomie d'un arbre.


Pour faire une trogne, on a besoin d'un arbre (évidemment) qui a atteint la taille désirée, disons 2 mètres de haut. Pendant l'hiver, le houppier, c'est-à-dire la tête de l'arbre, qui comprend l'ensemble des branches, va être coupé à la base. On laisse uniquement le tronc.
Puis, régulièrement, toujours en hiver, on coupe de nouveau ce qui repousse. Il peut y avoir jusqu'à six ans entre deux tailles, pour que les branches soient assez épaisses..
Au bout de quelques dizaines d'années, on obtient une belle trogne !

Evidement, il y a plein de variations possibles sur le thème de la trogne, comme le "candélabre" : c'est une trogne à qui on a laissé quelques branches latérales. Il ne vous rappelle rien ?

Le saule cogneur (Harry Potter) a été taillé en candélabre. Un volontaire pour essayer ?

Est-ce qu'on peut faire une trogne à partir de n'importe quel arbre ?
On peut obtenir une trogne à partir d'un grand nombre d'essences d'arbres, en général des feuillus :
le platane, le saule, le chêne, le charme, le frêne...
Par contre, il est déconseillé d'essayer avec des arbres fruitiers à noyaux (abricotiers...), les épineux (sapins) ou le noyer.
Néanmoins, on peut faire une trogne avec des plantes qui ne sont pas des arbres, tant qu'elles produisent du bois, comme la vigne.

Une vigne taillée en candélabre

A quoi ça sert de mutiler un arbre comme ça ?
En fait, tailler un arbre de cette manière, à défaut d'être esthétique, présente plein d'avantages, à commencer par l'arbre: sa longévité augmente, comme la production de bois, et s'il est assez grand, il sera protégé contre les herbivores, qui ne pourront pas brouter les branches basses et blesser l'arbre.

Autre avantage, une trogne donne un coup de pouce à la biodiversité locale :
l'arbre sert de support pour de nombreuses plantes comme le lierre, le sureau noir, le fusain...
Il sert d'abri pour des animaux (oiseaux, grenouilles, insectes, petits mammifères...)

D'accord, mais l'Homme, à quoi ça lui sert ?
Le bois du tronc permet de fabriquer des meubles ou des poutres de charpente pour les maisons ou les bateaux.
Les rameaux, coupés régulièrement, servent de piquets, de manches d'outils, de bois de chauffage ou bien de fourrage s'ils sont coupés assez tôt.
Enfin, le "sang de la trogne" sert d'engrais pour les jeunes pousses, les légumes, les céréales.

Ah oui, c'est plutôt utile.
Et ce n'est pas fini !
Une trogne peut servir de repère sur une route: il peut indiquer le chemin vers une maison particulière par exemple.
Les tilleuls servaient parfois à abriter les pistes de danse de la pluie:

Un tilleul à danser en Belgique, à Macon, près d'une église.

Pendant la Première Guerre Mondiale, les trognes ont servi à cacher des armes, des hommes en fuite, et même de poste de guet ! Pour cette dernière utilité, on utilisait des fausses trognes, blindées et peintes pour ressembler à des arbres.
Qui irait soupçonner un arbre ?

Mon avis
J'ai toujours vu ces drôles d'arbres, ici et là, en me demandant quelle espèce de plante pouvait donner ce résultat à l'esthétique... discutable. Jusqu'ici, je n'avais jamais compris que ce que je voyais faisait partie du patrimoine culturel de mon pays, et que ça pouvait avoir une fonction.
C'est aussi ça la science, elle permet de répondre à des questions de la vie de tous les jours !

Cependant, maintenant que je comprends mieux la nature de cette forme d'arbres, je ne peux pas m'empêcher de comparer les trognes à des zombies sans tête, bossus et rongés par la mousse et les champignons.
Peut-être un peu trop d'anthropomorphisme de ma part ?

Néanmoins, ces arbres sont coupés régulièrement, encore et encore, pour produire toujours plus de bois. Pendant ce temps, les mousses, les champignons et les insectes les rongent de l'intérieur jusqu'à les creuser entièrement.
J'ai l'impression que c'est une chance pour eux de ne pas avoir de système nerveux.

Pour aller plus loin
Je vous laisse un lien vers la chaîne Avenir Permaculture qui parle de la taille des arbres, mais pas seulement :
https://www.youtube.com/channel/UC-9_Sm-wqs2SVpc_jIkHCrA


Sources
Pages Internet:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Trogne_(arbre)#Patrimoine_naturel_et_culturel
https://jardinage.ooreka.fr/astuce/voir/309699/arbre-tetard

Images:
Tilleul à danser
http://www.tilleuls-a-danser.eu/images/illustrations/TaD_Macon.jpg

Trogne
http://www.ecobalade.fr/sites/default/files/styles/slideshow_detail_balade_full/public/PHOTO_balade/trogne-credit-pays-de-vendome_0.jpg?itok=tP63VqwB

Platanes au bord d'une route
https://static.actu.fr/uploads/2017/03/25438-170307130200317-01.jpg

Anatomie d'un arbre
http://encyclopedie_universelle.fracademic.com/pictures/encyclopedie_universelle/arbre.png

Saule cogneur
https://www.encyclopedie-hp.org/wp-content/uploads/sites/4/2016/02/willow.jpg

Vigne taillée
http://www.la-wine-ista.com/wp-content/uploads/2015/01/gobelet-apres.png

Documentaire ARTE sur la trogne :